Descripción de la Exposición
Seconde exposition de l’artiste brésilienne Lyz Parayzo dans les espaces de la galerie Espace L, PORNO CHIC rassemble des œuvres de différents moments de sa jeune carrière. On y retrouve deux photographies de la série Secagem Rápida de 2015 (sa première série à être censurée dans une exposition d'art), une vidéo intitulée Papai está descansando de 2016 (créée à partir des lectures faites par l’artiste du livre Manifeste contra-sexuel du philosophe espagnol Paul B. Preciado) et des sculptures en aluminium découpé issues des séries Bixinhas, Móbiles et PopCretinhos. Ces dernières œuvres ont été réalisées, pour partie, lors d'une résidence artistique dans la ville de Porto en octobre et novembre 2020 ainsi que dans les ateliers de l'École Supérieure Beaux-Arts de Paris. En croisant différents langages tels que l'installation vidéo, la sérigraphie, la sculpture et la photographie, l'artiste cherche à renouveler sa lecture critique des traditions modernistes au prisme, plus narratif et biographique, des questions de genre et de politiques identitaires.
PORNO CHIC. Le titre nous renvoie de prime abord au vocabulaire de la culture visuelle contemporaine. Il fait penser à l’univers de la mode des années 90 adoptant une stratégie publicitaire agressive par l’emploi d’images dont la transgression était immédiatement convertie en arme de séduction massive. L’expression a circulé quand le styliste américain Tom Ford reprend la tête créative d’une marque de luxe italienne (Gucci, pour ne pas la nommer) et s’associe aux photographes Mario Testino et Terry Richardson pour développer des campagnes publicitaires reposant sur des clichés à forte charge érotique, dans des pauses sophistiquées aux connotations souvent phallocrates. Les commentaires de l’époque (pour Yves Saint Laurent, « le porno chic, c’est l’ignominie ») dressaient le constat d’une absorption par la culture dominante d’images venues de la prolifération pornographique favorisée par les images circulantes des réseaux digitaux. La marque de fabrique du « porno chic » finissait d’objectiver le corps féminin dans l’alliance tacite entre libéralisme économique et marchandisation de la sexualité (on parlera, comme Brian McNair, de « pornification » de la culture occidentale). A première vue, le Porno chic, comme stratégie commerciale de la transgression, n’a rien à voir avec l’inclusion sexuelle, le droit des femmes et des minorités raciales.
Ce n’est donc pas ce « porno chic » emprunté à l’univers du luxe et des médias que convoque ici Lyz Parayzo, dans une ambiance feutrée rappelant par son rose atmosphérique certains codes du striptease. Il y a certes un jeu de rappel sur la sexualisation ambiante des corps, mais il est déplacé, sous un angle plus personnel, vers un espace critique où s’expose la différence des identités subalternes et ce qu’elle peut produire aussi bien dans la sphère de l’intime que dans l’espace public. Le titre de cette exposition n’est pas repris aux injonctions d’une mode qui se voulait tactiquement sex-appeal mais, de manière beaucoup plus ciblée, à un livre de contes pornographiques publié en 1990 par l'écrivaine brésilienne Hilda Hilst. Dans l’un des contes de cette trilogie au parfum sulfureux, intitulé "Le carnet de roses de Lori Lamby" où l’auteure rapporte les propos d’une jeune fille livrée à la prostitution, Lyz Parayzo a découvert un univers érotique chargé de paradoxes dans lequel le langage enfantin normalise les relations de désir et de violence, un « couple » conflictuel que l’artiste recrée ici au sein de cette exposition en cherchant à combiner des pulsions contradictoires de séduction et d’autodéfense.
L'édition illustrée du livre référence d’Hilda Hilst - dont Lyz Parayzo reprend ici la couleur rose acidulée de la couverture présentée en vitrine de l’exposition - réunit les trois « livres obscènes » de la poétesse, augmentés de commentaires critiques et d’un interview avec Caio Fernando Abreu. Hilst révèle comment, sur le mode de la provocation, elle s’est lancée, à l’aube de la soixantaine, dans l’écriture de ces "adorables bandalheiras" qui ont donné naissance à cette trilogie du scandale. Au-delà de l’apparent écart de génération, Lyz Parayzo partage avec Hilst cette poétique de la confrontation imprégnée de l’expérience intime de la sexualité et de ses ramifications profondes dans un Brésil socialement contrasté où la violence fait rapidement écho aux débordements de la sensualité, plus encore quand celle-ci cherche à effacer les frontières balisées des codifications sociales du genre.
L’œuvre de Lyz Parayzo, adossée sur son expérience personnelle d’une fluidité des genres - et les attaques « ordinaires » que cette ambivalence sexuelle suscite dans l’espace social -, nous rappelle combien la faculté d’autodéfense est un critère servant à (dé)faire la distinction entre ceux qui sont pleinement des sujets et les autres. Ses sculptures métalliques aux parois tranchantes, ses boucliers d’aluminium dans leur capacité à s’attaquer à l’espace physique de celui qui veut s’en approcher, mettent en évidence la réversibilité de cette « mise en danger » pour mieux révéler la vulnérabilité des corps dissidents. Les interrogations soulevées par cette démarche activiste fleurissent comme des plantes réfractaires: Qui est la personne appelée à « se défendre »? Où se déploient, de manière explicite ou implicite, les agencements de la violence? Que peut-on faire de la brutalité fragilisée du corps minoritaire ou séditieux dans son ambiguïté? L’art peut-il être un lieu de renégociation de la domination?
Sous cette ambiance rose feutrée et dans le contraste à double face entre le doux (le cuir coloré) et le mordant (l’aluminium poli), Lyz Parayzo dévoile la nature ambivalente des « dispositifs défensifs » à l’œuvre dans nos sociétés à la fois traversées par le choix de l’émancipation individuelle et collective et les réflexes d’intimidation contre toute tentative de sortie des normes établies: des dispositifs que l’on pourrait qualifier d’outils « à double tranchant » où se pose la question de la légitimité (une « légitime défense ») de celui qui, tout autant menacé que menaçant, est retranché dans des tactiques défensives. Lyz Parayzo se livre dans ces objets (sans) défense comme un sujet subalterne à mains nues, développant dans leur fabrique - et dans le comportement qui va avec - une « éthique martiale de soi » (Elsa Dorlin) reconvertie en guérilla esthétique. En adoptant le choix de matériaux antithétiques, à la fois sensuels et bruts, ductiles et aiguisés, l’artiste inscrit son œuvre dans une expérience contradictoire des cultures de la domination au sein de l’espace public. Déployées comme des trophées d’une bataille qui n’est pas seulement métaphorique (l’autodéfense comme possibilité de sa survie dans un univers où les signes d’hostilité sont fréquents, souvent perçus comme des gestes anodins, jusque dans l’enceinte protégée d’une école d’art), ses armes nous parlent d’abord d’un corps désarmé face à la violence ordinaire ou l’offense banalisée, sans pour autant sombrer dans la posture victimaire.
Pour cela, tout comme Hilst se jouant des codes de l’écriture, Lyz Parayo jongle avec des icones du modernisme. Elle déplace des « formes pures » empruntées à l’histoire formaliste de l’abstraction vers des contextes socialement plus ciblés. Ainsi de ses Bixinhas (2018). Leur forme est une référence déclarée aux productions du mouvement « néo-concrétiste » qui a animé la sculpture brésilienne des années 50/60, dans un dialogue plus explicite encore avec le travail consacré de Lygia Clark (1920-1988). Aux formes découpées de Clark (venues de l’héritage constructiviste mais revu et corrigé par une approche proprioceptive et interactive propre aux années 60), Lyz Parayzo ajoute des contours en arrêtes de scie autrement plus percutants et menaçants qui font muter la sculpture participative en arme performative. Les Bixinhas deviennent les outils d’une stratégie de résistance, moins « praticables » que défensifs, pour répondre, au-delà du rempart des mots, à la violence qui est faite aux corps dissidents.
Le titre générique de cette série est dérivé des fameux Bichos de Clark, des sculptures en acier formé, modulables et surtout manipulables par le public, emblèmes du renouveau générationnel de la sculpture à Rio de Janeiro à la fin des années 50. L’objectif visé par Clark, une femme isolée dans le milieu d’une « abstraction concrète » occupé par des hommes, était de donner une forme plus dialogique et organique à ces constructions qu’elle souhaitait sortir d’une perception trop rationaliste et masculiniste de la géométrie. Surfant justement sur les ambiguïtés de ces catégories binaires, et comme un revers à cette stratégie, Lyz Parayzo aiguise des surfaces martiales et combatives. Ses sculptures, qu’elles soient suspendues ou accrochées à la cimaise, mettent plus à distance qu’elles n’invitent au contact de la manipulation. Cette mise à distance renvoie à celle qui est imposée, dans la sphère publique, aux corps qui ne se rangent pas dans les bonnes catégories. Bixinhas n’est pas seulement un diminutif de Bichos, c’est aussi sa forme féminisée. Plus que cela, dans le langage populaire, le terme qualifie un homme efféminé. Le titre énonce bien la démarche: une réponse tactique aux poncifs de la passivité naturalisée de ces corps mettant à mal le clivage masculin (actif)/féminin (passif), ces clichés genrés que dénonçait l’esprit du Manifeste contra-sexual de Preciado dont l’artiste décline ici quelques extraits dans la vidéo projetée au cœur de l’exposition.
Avec les Mobiles (2020/21), l’artiste poursuit son entreprise de « repolitisation » des filiations modernistes du constructivisme. On pense cette fois aux mobiles de Calder dont le mouvement suspendu associait le montage ludique (le dialogue sensible avec le jouet d’éveil infantile) à la vie organique des formes. A cette lecture biomorphique consolidée dans le travail manuel du fer, Lyz Parayzo répond par un dispositif métallique de protection, où la suspension des formes, tout aussi cinétique, dresse un obstacle à toute intrusion offensive. L’innocence perdue de Lori Lamby n’est pas loin. Enfin, avec les PopCretinhos (bouclier carré circulaire, 2021), la découpe de l’aluminium assume délibérément la forme auto-défensive du « bouclier ». C’est là qu’est mis au jour le plus lisiblement l’ascendant biopolitique du détournement référentiel des sculptures du néo-concrétisme. Ici, ce qui est à la fois « nouveau » et « concret » ne réside pas dans le recyclage de formes établies (et leur logique d’assemblage) mais bien dans la réponse à une violence, verbale ou « à mains nues », rythmant la réalité bien concrète à laquelle est confrontée, au quotidien, le genre fluide de l’artiste.
Pascal Rousseau
Exposición. 19 nov de 2024 - 02 mar de 2025 / Museo Nacional del Prado / Madrid, España
Formación. 23 nov de 2024 - 29 nov de 2024 / Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía (MNCARS) / Madrid, España