Descripción de la Exposición
Angela Detanico et Rafael Lain travaillent ensemble depuis presque vingt ans. Ils se sont rapidement imposés sur la scène artistique internationale grâce à une réflexion subtile menée sur les modes de représentations conventionnelles qui nous entourent.
Fascinés par ce qui dépasse l’homme et la compréhension du monde, Angela Detanico et Rafael Lain tirent d’une recherche scientifique, mathématique et littéraire des systèmes de représentation et d’écriture du temps, de l’espace et de l’infini. Héritée du statement conceptuel et ancrée dans l’usage de nouveaux moyens de création sonore, graphique et plastique, leur démarche s’exprime dans un formalisme rigoureux et épuré d’une grande poésie.
Au CRP/, ils proposent un ensemble de nouvelles œuvres qui joueront avec les « perspectives » et les différents régimes de l’image.
Respectivement linguiste – sémiologue et graphiste de formation, les artistes mènent ensemble une réflexion sur l’utilisation des signes graphiques dans la société. Ils s’intéressent particulièrement à la notion et notation du temps et des formes qu’il peut revêtir et créent ainsi de nouvelles typographies en substituant aux lettres des alphabets traditionnels, des formes issues du quotidien. Ces formes sont ensuite mises en scène dans des espaces d’exposition donnant à cette écriture une matérialité inédite. Angela Detanico et Rafael Lain poursuivent ainsi une réflexion sur le rôle du langage et sur sa place symbolique et physique au sein de nos sociétés. Le langage révèle ainsi sa double fonction, outil de communication mais également instrument de lecture et reflet de différentes cultures.
Oscillant entre technique rudimentaire et technologie de pointe, leurs pièces prennent des formes aussi diverses que la lettre, le mot, l’image fixe, l’animation, le son et l’installation. Qu’il s’agisse d’alphabets, de cartographies ou de calendriers, ils s’attaquent aux fondements mêmes de ces codes qui régissent notre quotidien, persuadés du croisement qui s’opère entre le signe et le sens. Les visions qu’ils proposent sont la plupart du temps codifiées, parcellaires ou transitoires.
Nés en 1974 et 1973 à Caxias do Sul (Brésil), ils vivent et travaillent à Paris.
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L’accumulation considérable d’études théoriques et pratiques récentes de la part des artistes comme des historiens de l’art ou des scientifiques a mis en lumière plus nettement qu’autrefois l’interaction entre la naturalité et l’artificialité de la perspective. Quels que soient les cultures, les codes et les habitudes, nous percevons naturellement en perspective – tel objet éloigné apparaîtra plus petit que celui se trouvant à proximité –, mais la représentation en sera très différente selon ces mêmes codes et habitudes, selon les schémas de nos relations au monde. Ce qui semble naturel pour une époque, une civilisation, un rendu plastique, est en définitive une fabrication rendant manifestes les manières dont nous percevons la réalité et, surtout, dont nous l’agençons, ce qui explique – puisque nous partageons une physiologie identique – l’apparition de diverses perspectives à travers les époques : inversée, aérienne, axonométrique, cavalière, isométrique, linéaire, curviligne, bifocale, trifocale, anamorphotique, à point de fuite central. Voir la réalité « en perspective » semble évident et naturel, mais dès qu’il y a représentation cela change du tout au tout — par exemple, dans les grottes du paléolithique, certains animaux placés derrière ceux situés au premier plan sont transparents comme ceux qui devraient les cacher partiellement. Pour reprendre un terme de la peinture renaissante, nous projetons une grille de lecture sur le monde, une conception, un système culturel, un ordonnancement que l’on appela la « construction légitime », laquelle n’avait de légitime que la domination toute temporaire de certaine pensée et vision plastique comprises alors comme les véritables manières de présenter et de représenter les choses, les êtres et les objets. La preuve la plus parlante de cette artificialité était que ladite perspective fut inventée au début du XIVème siècle, voire dès le XIIIe siècle – sa supposée naturalité universelle aurait dû contraindre depuis longtemps tous les artistes à travailler dans la même veine –, notamment à partir de la « mise au carreau » qui partait du pavement des sols, réels ou imaginés, à partir desquels on pouvait alors tracer les principales lignes de la perspective désirée. Cependant, l’artifice doit être préservé, même en faussant légèrement l’aspect naturel, pour que des figures peintes au plafond, des sculptures placées en hauteur, les colonnes ou les marches d’un bâtiment n’apparaissent pas déformées.
Dans l’art contemporain, non seulement la problématique de la perspective n’a aucunement disparu mais elle s’est même démultipliée, si l’on songe aux immenses possibilités de nos technologies. Dans le parcours proposé par Angela Detanico et Rafael Lain, la perspective ou le perspectivisme ne saute pas immédiatement aux yeux, car on y perçoit d’abord des choses... plates ou planes, une sorte de monde à deux dimensions, un micro-Flatland habité par ces petites entités que sont les lettres, elles aussi fatalement planes. Il y a bien une structure métallique tridimensionnelle posée au sol, des éléments de bois rouge et vert accrochés aux murs, mais au premier regard et au final la véritable perspective est celle dessinée par les lignes du pavement, présent auparavant dans cette salle, représentatif du modèle de la costruzione legittima. Mais si cette citation perspectiviste classique est utilisée de manière ludique par les artistes – et aussi par les renvois de la grisaille du sol et des panneaux de lettres –, la reprise n’est ni arithmétique ni géométrique – comme dans la majorité des traités traditionnels –, étant plutôt verbo-visuelle. À commencer par les deux structures rouge et verte, car tout amateur de traités perspectivistes, ou amateur de cinéma, connaît le moyen d’obtenir des anaglyphes (images stéréoscopiques), à savoir le recours au rouge et au vert qui font partie des couleurs servant à restituer le relief fondé sur la perception simultanée de deux couleurs différentes.
Dans une majorité d’oeuvres de Detanico-Lain, les phrases, les mots, les lettres, l’agencement typographique de ces derniers, et aussi temporel dans certains cas, est prépondérant, comme est fondamental notre usage continuel de mots, de phrases, de sons, de lettres, même par bribes, parcelles, fragments. Ce travail récurrent, continuellement approfondi de l’intérieur du langage et des langues, fait partie d’un processus que l’on peut nommer une textualité par contrainte. Toute langue est déjà constituée de contraintes nécessaires à ses usages, fonctionnements et significations, et le processus, ou la méthode, de Detanico-Lain se constitue par des dérivés autant que par des contournements, des prolongements, des extensions de ce que permet la contrainte choisie, cela jusqu’au possible point de rupture, pourtant jamais volontairement atteint, où le sens se disjoindrait du signifiant tout en laissant entrevoir la résolution de la tension et de la reprise du sens. Aussi loin que l’on puisse aller, la contrainte demeure toujours signifiante et véhicule toujours un signifié, parfois infime, sans laquelle l’on ne comprendrait pas que nous sommes pris dans une interdépendance du sens et de la forme ni que signifiant et signifié s’autodéterminent et s’autocontraignent par là même. Cette contrainte est propre à toute langue, et, à cet égard, est prédéterminée, non décidée par les artistes. Comme dans toutes leurs oeuvres, Detanico-Lain explorent l’homologie entre le système de la langue et différents systèmes de représentations, en l’occurrence le système perspectiviste.
L’homologie entre les deux systèmes de représentation n’est pas totale – l’un est langagier, l’autre visuel – mais suffisamment importante pour que l’on puisse transposer l’un dans l’autre. La contrainte de textualité choisie par Detanico-Lain dans ce cas consiste à attribuer à toutes les lettres de l’alphabet (occidental) une longueur, un format, une taille ayant son équivalent dans une structure rectangulaire tridimensionnelle. À la lettre e correspond une mensuration de 50x10x10 cm, à la lettre o 150x10x10 cm, à lettre s 190x10x10 cm, et ainsi de suite pour toutes les lettres avec des mensurations différentes, croissantes si l’on commence par a, décroissantes si l’on commence par z. Notons, au passage, que nombre de traités classiques ont pour but d’exposer « l’art de mesurer », par exemple celui publié par Albrecht Dürer en 1525, Instruction sur la manière de mesurer, dont le livre III est d’ailleurs presque exclusivement consacré au dessin des lettres. La diversité et la variation étant inhérentes à la contrainte de tout système afin qu’il puisse, précisément, jouer pour s’appliquer à différents contextes, on peut aussi décider quelles sont les formes à donner aux structures, par exemple, celle de « coins », dont les grandeurs varient selon la méthode des correspondances entre lettre de l’alphabet et taille, mais avec une forme à angle droit, une contrainte dans la contrainte. Toujours dans les procédures rendues possibles par le jeu du système, on peut décider quels mots ou phrases écrire avec les formes obtenues et à quoi elles peuvent référer — comme pour la langue : un mot (signifiant-signifié) se réfère à tel objet de la réalité ou à tel état psychologique. « Écrire » peut sembler un terme inadéquat, mais outre que le terme grec ancien, graphein, signifiait simultanément écrire et dessiner ou peindre – de fait, on dessine ou peint les lettres d’un mot –, toutes les langues recourent inévitablement à une inscription sur un support. Nos artistes écrivent donc certains mots d’après les éléments choisis préalablement. Les morceaux en bois de couleur rouge et verte signalent, bien entendu, le cadre de la peinture, le cadre comme peinture, la peinture devenant objet plastique tridimensionnel, comme cela fut pratiqué durant la période des avant-gardes du début XXe siècle et ultérieurement.
Alors que d’après la méthode, la structure tridimensionnelle de couleur noire représente le mot « perspective », les éléments rouges et verts placés sur les murs écrivent leur couleur par autoréférentialité. Il faut souligner que cette autoréférentialité est essentiellement mentale, car si l’on peut penser aux mots « vert » et « rouge », nous ne pouvons les percevoir matériellement en toutes lettres et donc les lire en tant qu’ils référeraient directement à leurs objets, bien que l’on puisse les percevoir et lire en toutes formes. En réalité, les lettres existent bel et bien dans eikan-do, hogon-in et arashiyama, ou dans ROJVBIVORAELNIUAUREDOGNNTUILEGEGEEOT, lettres ou mots qui nomment les couleurs présentent dans la salle d’exposition, ou qui les montrent, comme dans le film Color Fields. La ligne des lettres de ROJVBIVORAELNIUAUREDOGNNTUILEGEGEEOT, réalisée au crayon de couleur à partir des sept couleurs de l’arc-en-ciel (rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet), commence par le rouge, partie extérieure du photométéore tel qu’il se présente naturellement, le violet étant la première couleur de la partie inférieure de l’arc. Les sept premières lettres de chaque couleur sont dessinées/écrites à la suite, puis d’autres lettres composent une espèce de phrase inintelligible, tant que l’on n’a pas compris que chaque première lettre compose le nom de la couleur en question à retrouver irrégulièrement, mais dans l’ordre, dans la ligne en suivant la couleur signalée par le nom (toutes les lettres de « rouge » sont rouges, les lettres de « orange sont orange, etc.).
Observé naturellement (pas en reproduction photographique ou filmique), l’arc-en-ciel est un phénomène qui toujours émerveille par son irréalité, son apparition étant tout à la fois proche et lointaine, persistante et éphémère, aussi régulier dans son ordre coloré qu’il est évanescent. Il semble ne pas avoir de consistance mais possède toujours la même forme, il est relativement transparent mais les couleurs sont clairement visibles et distinctes les unes des autres, son aspect vaporeux et liquide apparaît pourtant épais et dense. Bien que l’épaisseur soit le commencement de l’objet saisi en perspective, la planéité de l’arc-en-ciel naturel est cependant aussi visible. Comme pour les lettres composant ROJVBIVORAELNIUAUREDOGNNTUILEGEGEEOT et situées dans une sorte d’entre-deux perspectiviste dans lequel la planéité des lettres laisse entrevoir une ébauche de tactilité, de relief, d’épaisseur naissante.
Jacinto Lageira, critique d’art
Exposición. 17 dic de 2024 - 16 mar de 2025 / Museo Picasso Málaga / Málaga, España
Formación. 01 oct de 2024 - 04 abr de 2025 / PHotoEspaña / Madrid, España