Descripción de la Exposición
Les oeuvres de Tere Recarens (née en 1967 à Arbúcies, Catalunya) ont à voir avec le déplacement, les turbulences
que cela implique parfois. La plupart sont des réponses à des contextes précis : Tere Recarens peut être amenée
par choix ou nécessité à réagir à une situation, qu’elle s’applique souvent à détourner. Chaque réponse est nourrie par une observation attentive du contexte et des usages et nécessite souvent une investigation dans la durée.
Dans cette perspective, la rencontre avec l’autre s’avère cruciale, elle peut ouvrir sur l’apprentissage de nouveaux savoirs,déclencher un projet, une recherche. L’art de Tere Recarens pourrait tenir dans cette vidéo d’un voilier jeté parmi les vagues, qui s’en trouve bousculé, mais s’efforce de maintenir son cap, sa quête (Faire L’aventure, 2008-2016). Tere Recarens a séjourné et travaillé dans différents pays, ceci-étant, le voyage n’est jamais pour elle une fin en soi, il est un moyen parmi d’autres de poursuivre sa recherche. Pour son exposition à la galerie Anne Barrault, elle choisit de montrer au public deux oeuvres qui sont le fruit de plusieurs séjours en Iran, de son étude de l’histoire et de la culture de ce pays : Baharestan Carpet (2017-2018) est un tapis en carton et Spark (2015-2017) des impressions sur papier.
Moi je m’envole comme les oiseaux, il y en a à ma fenêtre, puis quatre heures plus tard ils s’envolent et moi je pars faire connaissance de la ville [envoyé depuis Tehrãn, février 2018]
Peu de temps après son installation à Berlin – où elle est établie depuis maintenant plusieurs années, Tere Recarens a réalisé un petit court métrage dans lequel pendant une minute de chute libre en parachute, elle balaie les nuages afin de voir un peu plus clairement les contours de la ville (Besenrein, 2003 – signifie « net »). Cette vidéo signifie pour elle « la découverte d’une nouvelle culture ». C’est aussi échapper momentanément à la
« pesanteur » et y être irrémédiablement confrontée.
BAHARESTAN CARPET est un tapis en carton. « Baharestan », que l’on peut traduire par « lieu du printemps », est
aussi le nom le plus communément usité à Tehrãn pour désigner le tapis légendaire qui ornait le palais de Ctesiphon
sous le règne de Khosro 1er (531-579) à l’époque Sassanide. On le connaît par quelques descriptions. Baharestan
Carpet a été montré à Barcelone en 2017; à Paris il est présenté avec de nouvelles productions graphiques au revers. Son dessin représente un jardin divisé en quatre parties autour de trois thèmes : la littérature persane, la mythologie, l’histoire politique de l’Iran et la place des femmes. L’iconographie et le style empruntent à différentes sources visuelles. Les parties s’organisent autour d’un bassin central peuplé d’oiseaux.
La transcription d’un poème « spontané » de Josep Pedrals file sur le pourtour du tapis. Ce poème a été imaginé à
partir de mots recueillis auprès d’intellectuels catalans.
Sur une des parties figure un oiseau mythique : la Sîmorgh. Cet antique symbole se déploie dans Le cantique des oiseaux, épopée spirituelle de 4724 distiques du poète Farid od-dîn ‘Attâr (1158-1221). Son nom d’auteur signifie parfumeur, apothicaire, il est celui qui « soigne les âmes en les guidant par la parole et le récit1 ».
Un jour, les oiseaux du monde se réunissent et décident de partir à la recherche de l’oiseau souverain. Les traducteurs ont toujours considéré jusqu’ici qu’il s’agissait d’une figure purement masculine car il est un symbole de Dieu. Après lecture du texte et du contexte, il apparaît que Sîmorgh était véritablement la face féminine du divin telle qu’elle se manifeste dans toute sa beauté. Le voyage des oiseaux a lieu sous la direction de la huppe, messagère dans l’histoire du roi Salomon. Sîmorgh niche sur les hauteurs de la montagne cosmique Qâf et pour accéder à sa demeure, tous devront survoler sept vallées porteuses chacune d’une étape spirituelle. Comme ils manifestent des réticences grandissantes à accomplir ce voyage jusqu’à son terme, la huppe leur raconte de nombreuses histoires pour les encourager et leur enseigner comment quitter leurs « vains attachements ».
Presque tous les oiseaux meurent ou abandonnent la recherche et seuls trente « âmes-oiseaux » arrivent au but.
À travers un jeu de mots, « trente oiseaux » se dit « sî-morg », ‘Attâr enseigne que les sept vallées sont un cheminement intérieur mais qui se ne fait pas de manière linéaire. Le seul moyen d’atteindre la Sîmorgh invisible et indicible est de se jeter « dans le feu de sa présence » : « Ils s’annihilèrent donc cette fois pour toujours / Et l’ombre disparut dans le soleil, enfin ! 2 ».
Sîmorgh apparaît aussi dans Le livre des rois de Abol-Qâsen Ferdowsî (†1020), une source d’inspiration pour ‘Attâr.
Son ambivalence est manifeste. C’est elle qui enseigne à Zâl, jeune guerrier « aux cheveux de vieillard » et fils du roi de Sistân, qu’elle avait recueilli, comment pratiquer la césarienne sur son épouse Rudâbeh. Zâl sauve la mère et l’enfant. Rostam, héros mythique de la Perse, est né.
SPARK – étincelle – est un ensemble de huit impressions sur papier, une étude du boteh jegheh, plus communément
appelé motif cachemire ou paisley. Spark conjugue trois procédés d’impression qui se sont succédés dans la durée.
Cette longue maturation dans l’élaboration de l’oeuvre résulte d’une quête de l’histoire de ce motif ; le boteh jegheh est riche de significations politiques, religieuses et spirituelles. Les motifs en aplat colorés reproduits à l’identique sur chaque papier sont des sérigraphies. Le récit sur boteh jegheh se déroule au fil des huit impressions : les phrases ont été imprimées à l’aide de la lithographie. Ainsi, les motifs sérigraphiés dans leur pure simplicité s’enrichissent d’un nouveau sens à chaque étape du récit. ‘Spark’, dessin du boteh jegheh imprimé par marquage à chaud, traverse les formes et le récit. Elle représente la recherche, le cheminement.
« Sîmorgh prend son essor tout en restant immobile ; elle vole sans franchir de distance ; elle s’approche et pourtant n’a parcouru aucun lieu. Sache que toutes les couleurs dérivent de la Sîmorgh, mais qu’elle-même n’a aucune couleur. Son nid est en Orient, mais sa place en Occident ne reste pas vacante. Tous sont préoccupés d’elle, mais elle est vide de tous. Toutes les connaissances dérivent de l’incantation de cette Sîmorgh.3 »
Frédéric Oyharçabal
Avril 2018
1. Leili Anvar, « L’envol », in Farid od-dîn ‘Attâr, La cantique des oiseaux, traduction Leili Anvar, Diane de Sellier éditeur, Paris, 2014, pp. 13-25.
2. Distique 4286.
3. Shahâboddin Yahyâ Sohravardî, L’Archange empourpré. Quinze traités et récits mystiques traduits du persan et de l’arabe, traduction Henry Corbin, Fayard, Paris, 1976.
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